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Da Vinci Ode

Da Vinci Code, quête du Graal et Cause freudienne

Intervention du jeudi 8 décembre 2005

par Christophe BORMANS


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Texte de l’intervention du jeudi 8 décembre 2005 au cartel « Jouissance féminine et mystique ».

Ce soir je vais vous raconter des histoires... Des histoires qui vont nous donner du grain à moudre, ou plutôt apporter de l’eau à notre moulin ; car un cartel, ça mouline. Des histoires, donc, et à proprement parler, deux histoires : d’abord, celle du Saint-Graal, telle qu’elle nous est présentée par Dan Brown dans son fameux Da Vinci Code - sorte de synthèse romancée sur ce que les historiens s’accordent aujourd’hui - ; ensuite, celle de nos Saintes reliques à nous, de notre « Nativité », c’est-à-dire l’histoire de ce que l’on a appelé la « Naissance de la psychanalyse » - vous l’aurez compris, celle des lettres de Freud à Fliess. Pourquoi vous raconter ces deux histoires, et les mettre, disons, en parallèle ? Parce qu’elles ont - vous allez le comprendre très vite en ce qui concerne la première -, elles ont comme point central, comme point pivot, le thème qui nous préoccupe cette année : « Le féminin et la mystique ».

PREMIÈRE PARTIE. - Le Da Vinci Code et le Saint-Graal

L’histoire du best-seller américain le Da Vinci Code, roman policier publié par Dan Brown en 2003, est très simple : tout commence par l’assassinat annoncé d’un homme, Jacques Saunière - Conservateur du Musée du Louvre à Paris - qui a le temps, après avoir été assassiné à son bureau (mais avant de mourir), de révéler, sous une forme codée, le motif de son propre assassinat.

Une femme et un homme, en l’occurrence Sophie Neveu (la petite fille de Jacques Saunière) et Robert Langdon, professeur de symbolique religieuse à l’Université de Harvard - tous les deux prévenus par Jacques Saunière lui-même sentant l’imminence du danger qui le guettait -, arrivent sur les lieux du crime avant la police, et à ce titre, vont être immédiatement accusés par elle et poursuivis tout au long du roman, sorte de course poursuite.

Dans cette course, ils n’auront de cesse de découvrir le mobile du crime, non seulement afin de se disculper, mais aussi et surtout, parce que le jeu de piste laissé derrière lui par Jacques Saunière, semble en valoir la chandelle, puisque le mobile du crime n’est autre que : le mystère du Saint-Graal.

C’est au chapitre 55 du roman, que le puzzle va commencer à se mettre en place, pour les deux personnages principaux, et que l’auteur du livre - Dan Brown - va nous expliquer sa version de la légende du Graal, intimement liée à celle du Nouveau testament.

Le Nouveau Testament et l’Empereur Constantin

Reprenant la phrase du Docteur Martyn Percy, docteur en droit canon, Dan Brown nous explique en effet que « La Bible n’a pas été transmise par fax céleste. »

Comme nous l’avons, nous, découvert avec Freud (et ses apôtres pourrait-on dire, notamment Karl Abraham), la Bible a été écrit par différents auteurs, à différentes périodes de l’histoire, et a finalement subie au cours des temps, de très grosses distorsions au travers de ses différentes traductions, additions et révisions.

Cependant, le Nouveau Testament tel que nous la connaissons aujourd’hui, a été disons standardisée par un païen, l’empereur Constantin le Grand.

Comme le précise Dan Brown, « plus de quatre-vingts évangiles auraient pu figurer dans le Nouveau Testament, mais seulement quatre d’entre eux ont été retenus - ceux de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean. »

Qui était l’Empereur Constantin ? C’est un Empereur - né entre 280-288, et mort en 327 - qui « a passé toute sa vie dans le paganisme », et qui n’aura été baptisé qu’à la toute fin de sa vie. « Pendant son règne, nous dit Dan Brown, la religion officielle de Rome était le culte du Soleil invincible - Sol invictus », et l’Empereur en était lui-même le « grand prêtre ».

Nous sommes donc déjà à la fin du IIIe siècle et, depuis la crucifixion du Christ, les chrétiens d’un coté, qui sont en pleine expansion, et les Païens de l’autre, s’affrontent sans discontinué. Au début du IVe siècle, cependant, le conflit avait pris de telles proportions qu’il en était devenu une menace pour l’Empire. En « homme d’affaire avisé », selon l’expression de Dan Brown, Constantin décide alors de miser sur ce qu’il croit être le « meilleur cheval » : le Christianisme ; et en 325, par un exceptionnel tour de force, Constantin unifie Rome en imposant une seule et unique religion : c’est le fameux concile de Nicée.

Le tour de force, c’est que « par une astucieuse fusion des dates, des rituels et des symboles païens dans la tradition chrétienne en formation, il a réussi à créer une religion hybride, assimilable par tous ses sujets. » C’est là ce qu’on appelle aujourd’hui le Christianisme.

Ainsi, Dan Brown peut-il nous énumérer les reste des vestiges païens au sein de la nouvelle symbolique chrétienne :

« Le disque solaire du dieu égyptien est devenu auréole des saints, le pictogramme d’Isis allaitant son nouveau-né Horus a servi de base aux images de la Vierge et de l’Enfant Jésus. Une majorité des éléments du rituel catholique, comme la mitre, l’autel de la doxologie et l’eucharistie - le fait de manger le corps de Dieu -, tout cela vient en droite ligne des religions païennes de l’Antiquité. (...) Il n’y avait pas grand-chose de purement chrétien dans la nouvelle religion proclamée par Constantin, nous dit Dan Brown. Le dieu Mithra - [« Dieu solaire de l’ancien Iran, dont le culte se répandit dans le monde hellénistique, puis romain », nous précise le traducteur du roman] - était depuis longtemps appelé Fils de Dieu et Lumière du Monde. On célébrait sa naissance le 25 décembre, qui était aussi la fête anniversaire d’Osiris, d’Adonis et de Dionysos. Il a été enterré dans une caverne rocheuse, et il est ressuscité trois jours plus tard. Le nouveau-né Krishna a reçu en cadeau de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Même le jour saint hebdomadaire a été calqué sur celui des païens. (...) À l’origine (...) les chrétiens honoraient le sabbat juif le samedi. C’est Constantin qui l’a déplacé pour le faire coïncider avec la célébration du dieu Mithra. Aujourd’hui - nous dit Dan Brown -, la plupart des chrétiens assistent au service dominical, sans savoir qu’ils célèbrent la fête du dieu Soleil ».

Le « coup de pouce » à la « divinité de Jésus »

Si aucun historien n’a jamais nié l’existence de Jésus, il reste qu’il semblait être avant tout considéré - jusqu’au fameux concile de Nicée - comme un prophète, et à ce titre - et à l’instar de Socrate - : comme un mortel.

Mais afin d’intimider les païens récalcitrants, tout en signifiant aux chrétiens qu’ils n’obtiendraient leur salut que par l’obédience à la nouvelle Église catholique romaine, le concile de Nicée a donné en quelque sorte un « coup de pouce divin », selon l’expression de Dan Brown, au nouveau statut de Jésus, et ce, pas moins de trois siècles après sa mort (c’est, en quelque sort, une seconde résurrection).

Le concile de Nicée a donc forgé et imposé un « Jésus divin » transcendant la réalité du monde humain, afin que sa puissance ne soit plus discutable.

Mais pour cela, il a fallut exclure de la rédaction du Nouveau Testament, tous les textes qui racontaient la vie de simple mortel de Jésus, et, au contraire, privilégier - en les adaptant au besoin -, ceux qui le faisaient apparaître comme divin.

Mais depuis, nous avons, nous scientifiques, découvert certains de ces évangiles apocryphes, qui ont néanmoins survécu. Ce sont, par exemple, les parchemins coptes d’Hag Hammadi, découvert en 1945, ou les fameux « Manuscrits de la mer Morte », découverts en 1947 dans une grotte de Qumram (désert de Judée).

Or, tous ces textes, outre de dépeindre Jésus en simple mortel, nous mettent sur la piste du mobile qui nous préoccupe ici : la « véritable nature du Saint-Graal ». De quoi s’agit-il ?

Le Saint-Graal révélé par la Cène de Léonard de Vinci

Hé bien, selon Dan Brown, Léonard de Vinci était au parfum ! C’est-à-dire qu’il connaissait le secret du Saint-Graal : il en aurait laissé des indices dans ses oeuvres, allant même jusqu’à le peindre - peindre le Saint-Graal -, et précisément dans la Cène.

La Cène, c’est, vous le savez, la fresque peinte par Leonardo De Vinci pour l’église Santa Maria delle Grazie (Sainte-Marie-des-Grâces) à Milan : elle est considéré comme son véritable chef-d’oeuvre. Elle a été commandée par Ludovic le More pour le réfectoire de l’église. C’est une peinture murale de 4,60 m de haut sur 8,85 m de large, exécutée entre 1495 et 1497. Elle représente, on le sait, le dernier repas de Jésus avec ses disciples, au moment précis où il leur annonce qu’un des leurs l’a trahi.

Mais où est le Saint-Graal ? Je vous rappelle les événements, la scène, elle se situe au moment de la fête de Pâque (la dernière Pâque), un soir, dans une maison de ville pas très loin de Jérusalem. Je vous renvoie ici au premier Épître de Paul au Corinthiens, Chapitre 11. Juste après, Jésus avertira Pierre de son reniement. Mais si l’on s’en tient à cette Cène, et si l’on s’en réfère uniquement à Paul : « Après le repas, il prit la coupe, en disant : "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi." » (Paul, Premier Épître aux Corinthiens, Chapitre 11, verset 25).

Or où est cette coupe, ce calice, ce Graal, justement, dans la Cène peinte par Léonard ? Tous les apôtres, Jésus compris, ont devant eux un petit verre rempli de vin. Donc treize en tout : il n’y a donc pas de calice, pas de Saint-Graal.

Or, si « tout le dogme établi par la Bible (...) évoque unanimement le calice dans lequel le Christ avait transformé le vin en son propre sang », demande Dan Brown, comment se fait-il que Léonard De Vinci ne l’ait justement pas représenté ?

Mais il y a encore plus troublant ; car, nous dit l’auteur, la fresque de la Cène est « la clé de tout le mystère du Graal », et Léonard de Vinci la fait clairement apparaître, seulement... - et je vous révèle ici le secret - : « Le Graal n’est pas une chose... c’est une personne... C’est même une femme ».

Le Graal

Le Graal du Nouveau Testament, est donc une femme, et « une femme, nous dit Dan Brown, détentrice d’un secret tellement grave que sa révélation menaçait de détruire les fondements de la chrétienté. »

Et c’est de cette femme, justement, que Léonard de Vinci a fait le portrait dans la Cène, où il lui réserve la place d’honneur, à la droite du Seigneur. Qu’observe-t-on en effet à cette place ?

De longs cheveux roux, des petites mains fines modestement posées sur la table, comme une « poitrine légèrement arrondie », une « courbe gracieuse du cou », une « expression retenue... » Elle semble jeune, avoir l’air « sage et modeste »... Cela ressemble en tous points à l’image d’une femme ! Et j’espère qu’à vous, elle n’est pas sans vous rappeler le visage et, disons la posture - inversée - de la Sainte Thérèse du Bernin.

Pourquoi ne pas l’avoir remarqué plus tôt ?

Il y a une première explication qui est d’ordre technique. Je ne vous raconte pas l’histoire de la fresque, mais je prie de vous référez à un texte de Gœthe, « La Cène de Léonard de Vinci », lequel relate toutes les péripéties (et intempéries) par lesquelles est passée cette fresque, qui a été peinte à la détrempe (al fresco, comme le précise Freud) sur un fond de plâtre sec, lequel commença très vite à se détériorer, et ce dès après que Léonard de Vinci l’eut réalisée.

De sorte que lorsque vous aurez lu le texte de Gœthe en question - bien sur je n’ai pas choisi cet auteur au hasard -, la véritable question, à vrai dire, que nous devrons nous poser, c’est : comment se fait-il, qu’après tous ces avatars subies par la fresque, l’on ait encore la chance de pouvoir l’observer.

Et encore, Gœthe a écrit son texte à la fin du XIXe siècle, autrement dit, avant que sa grande restauration de 1954, ait été achevée. Au cours de cette dernière restauration, on a dû retirer, millimètre par millimètre, les couches de crasse et de peinture surajoutée, notamment au XVIIIe siècle, par des mains parfois maladroites, afin de rendre à nouveau visible l’œuvre de Léonard De Vinci telle qu’on peut penser qu’il l’avait conçue et réalisée. Or, la plupart des reproductions de la Cène datant d’avant cette restauration, vous comprendrez qu’il était difficile jusqu’à peu de temps, d’y lire véritablement le tableau.

Mais il y a une seconde explication qui nous concerne de plus près - je vous renvoie au Séminaire X de Lacan et surtout au texte de Freud sur le fétichisme. Je cite Dan Brown :

« La notion préconçue que l’on a du tableau l’emporte sur nos capacités d’observation et empêche notre cerveau de remarquer ce qui ne cadre pas avec elle. C’est un phénomène visuel, précise Dan Brown, qu’on appelle scotome (...), une sorte de “lacune” dans le champ visuel. »

Alors, bien entendu, cette femme, au centre de la Cène, à la droite du Christ, que l’on « scotomiserait », vous l’aurez compris, c’est Marie Madeleine, laquelle n’était pas une prostituée, mais tout simplement la compagne de Jésus.

Marie Madeleine

Car de même que Rome voulait convaincre ses sujets que Jésus le prophète était un être divin, de même le Concile de Nicée a rejeté du Nouveau Testament tous les récits de sa vie évoquant la véritable identité de Marie-Madeleine. Et « il y avait un thème récurrent dans tous les évangiles », semble-t-il, c’est celui selon lequel Marie Madeleine était bien la compagne de Jésus.

D’ailleurs, notons avec Dan Brown, la stricte correspondance des vêtements de Jésus et de Marie Madeleine dans la Cène peinte par Léonard de Vinci : « robe rouge et cape bleue pour Jésus - robe bleue et cape rouge pour Marie Madeleine. »

D’un point de vue historique, un grand nombre d’historiens - sur lesquels s’est appuyé Dan Brown -, sont d’accords pour soutenir la thèse de « Marie Madeleine-compagne de Jésus ». Je cite Dan Brown :

« Un Jésus marié est beaucoup plus vraisemblable qu’un Jésus célibataire. (...) Parce qu’il était juif, (...) et que la société juive de son époque proscrivait, dans les faits, le célibat ». Le célibat était, en effet, condamné par la coutume et « tout père juif se devait de trouver une femme qui convienne à son fils. Si Jésus n’avait pas été marié, on en trouverait mention au moins dans l’un des quatre Évangiles, accompagnée d’une explication de son statut si peu conventionnel. »

Dans l’évangile Gnostiques (« du grec gnostykos “qui sait”, nous précise le traducteur du roman), et notamment dans celui de Philippe, retrouvé dans des papyrus coptes de Nag Hammadi et des manuscrits araméens de la mer Morte, on peut en effet lire :

« Et le Sauveur avait pour compagne Marie Madeleine. Elle était la préférée du Christ, qui l’embrassait souvent sur la bouche. Les autres apôtres en étaient offensés et ils exprimaient souvent leur désaccord. Ils disaient à Jésus : "Pourquoi l’aimes-tu plus que nous ?" » [1].

Or, en araméen, le mot « compagne », signifierait, justement, épouse.

Pire : on trouve également, dans ces Manuscrits, une évangile selon Marie Madeleine, c’est un apocryphe copte qui date du second siècle :

« Alors Pierre dit : “Est-il possible que le maître se soit entretenu ainsi avec une femme sur des secrets que nous, nous ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes, et tous écouter cette femme ? L’a-t-il vraiment choisie et préférée à nous ?”... Et Lévi répondit : “Pierre, tu as toujours été un emporté. Je te vois maintenant acharné contre la femme, comme le sont nos adversaires. Pourtant, si le Maître l’a agréée, qui es-tu pour la rejeter ? Assurément le Maître la connaît très bien. il l’a aimée plus que nous”. » [2].

La femme dont parle ici Pierre est Marie Madeleine, dont Pierre était manifestement jaloux, et selon Dan Brown, « les enjeux dépassaient de loin la question affective », puisqu’il semble que ce soit à Marie Madeleine, que Jésus souhaitait confier le soin de conduire son Église après sa mort.

J’ai dit tout à l’heure, « Marie Madeleine, dont Pierre était manifestement jaloux », car chose étrange, cette jalousie de Pierre envers Marie Madeleine, est parfaitement bien représentée dans la Cène de Léonard de Vinci. De fait, il tend une main menaçante sous le cou de ce personnage assis à la droite du Christ...

S’il ne s’agissait pas de Marie Madeleine, pourquoi Léonard De Vinci aurait-il dépeint ainsi un Pierre aussi agressif ? Ce qui confirme la thèse de l’Évangile Copte : Pierre semble furieux d’apprendre qu’il va devoir jouer les seconds rôles, qu’il va devoir se soumettre... au féminin !

Du reste, la castration en surgit d’une manière d’autant plus surprenante : puisqu’une main surgit, qui tend un poignard ! À qui appartient-elle ? Si l’on compte les bras, paraît-il, elle ne semble appartenir personne...

Métonymie et révélation de l’énigme

Qui était Marie Madeleine ? En « réalité », Marie Madeleine appartenait, paraît-il, à la tribu de Benjamin : elle devait être par conséquent elle aussi de descendance royale, tout comme Jésus qui, lui, appartenait à la maison de David, descendant de Salomon, roi des Juifs. De sorte que :

« Le mariage de Jésus avec une héritière de la puissante maison de Benjamin réunissait deux lignées de sang royal. Ce qui en faisait une sérieuse menace de restauration de la dynastie royale, avec le pouvoir qui était le sien du temps de Salomon. » [3].

Dès lors, l’énigme que donne à entendre Dan Brown devient évidente : lorsqu’on parle légende du Calice, lorsque l’on parle du « Calice qui contient le sang du Christ », c’est pour évoquer Marie Madeleine, laquelle portait en elle la lignée royale de Jésus. Le Calice, c’est le vase sacré - Marie Madeleine -, dépositaire de la lignée puisque porteuse du fruit d’une union royale.

Pourquoi parler de Saint-Graal ? Le processus ici à l’œuvre, nous est familier - il s’agit d’une métonymie :

« Le mot Sangréal est dérivé de San Greal ou Saint-Graal. Mais, sous sa forme la plus ancienne, le mot était coupé d’une autre façon. (...) Sang Real (...) Sang réal signifiait Sang royal. (...) San gréal... Sang real... San Greal... Sang royal... Saint-Graal. » [4].

On a donc la séquence suivante :

Sang real (sang royal ou réel) - San Greal (déplacement de la lettre : G) - Saint-Graal (refoulement du e et redoublement du a).

Le « Saint-Graal », c’est donc, pour nous, le « Sang réel ».

C’est donc pour asseoir son pouvoir et se déclarer « seule et unique voie de la rédemption et de la vie éternelle », que Rome a du propager l’image de prostituée de Marie Madeleine, et dissimuler toutes preuves de son union avec Jésus.

La légende raconte d’ailleurs, que Marie Madeleine, enceinte lorsque Jésus a été crucifié, aurait été contrainte de fuir la Terre sainte - avec l’aide de Joseph d’Anmathie -, afin de protéger sa descendance. Elle serait partie clandestinement en France (Gaule), où elle aurait trouvé refuge auprès d’une communauté juive, et là, aurait mis au monde une fille, du nom de Sarah.

La légende veut également, que la descendance de Jésus perpétuée en France, se serait enrichie, au Ve siècle, en se mêlant avec un autre sang royal, pour créer la lignée mérovingienne (je ne vais pas développer cela ce soir, je vous renvoie aux textes et ouvrages d’historiens qui abondent dans ce sens).

Langue des oiseaux

Alors vous allez me dire : comment ça se fait qu’on n’en sait rien de tout Ça ? Ou, inversement, comment est-ce qu’on le sait ?

L’histoire du Saint-Graal a en fait été criée sur tous les toits pendant des siècles, mais sous forme de métaphores et de symboles. Et c’est là que nous allons en revenir à la langue des oiseaux (peut-être pas tout à fait ce soir, mais la prochaine fois). Dans l’art et les légendes.

Dans la peinture, la Cène de Léonard de Vinci en est peut-être le plus parfait exemple. Mais, paraît-il, Botticelli, Poussin, et le Bernin y sont également allés de leurs représentation. Je ne citerai ici que le tableau de Poussin : Les Bergers d’Arcadie, exposé lui-aussi au Louvre.

Dans la musique, je ne citerai que Mozart, dont « La Flûte enchantée » - ce n’est quasiment plus un secret pour personne -, regorge littéralement de symboles et d’allusions au Saint-Graal.

Dans les légendes célèbres comme celles du « Roi Arthur » ou « Notre-Dame de Paris », etc. Des contes comme « Cendrillon », nous dit Dan Brown, « La Belle au bois dormant » ou « Blanche-Neige », sont autant d’allégories du Féminin sacré emprisonné.

Dans la littérature, l’exemple le plus remarquable nous est certainement donné par un auteur qui nous est cher - puisqu’inestimable pour Freud -, et que j’ai déjà cité ce soir : c’est Gœthe, qui ne cesse de promouvoir le Féminin sacré que Rome aurait banni : le fameux « Ewig-Weibliche » (L’Éternel féminin ou Féminin sacré), si cher à Wladimir Granoff [5], qui a très bien saisi le véritable aiguillage vers le féminin sacré que l’œuvre Gœthe constitue pour l’orientation de celle de Freud.

Freud, Léonard de Vinci et la lettre

Or, un siècle avant le best-seller américain de Dan Brown, c’est bien chez Léonard de Vinci, que Freud était venu - pour la première fois -, chercher le féminin sacré.

Léonard de Vinci, qui aurait été élevé, sans père, par une mère et sa propre mère, à l’instar de Jésus dans les jupes de Marie et de Sainte Anne, éternisé par le tableau dit de la Vierge et l’enfant Jésus avec Sainte Anne (je commenterai ce tableau un autre jour, car il s’agira d’y repérer un quatrième personnage, le sinthome à proprement parler : l’agneau).

Or, si un siècle plus tard - à la lumières de nouvelles recherches sur Léonard de Vinci - tout cela s’avère faux, si l’imaginaire de Freud l’avait dupé, voir si le symbolique l’avait lâché - le conduisant à la fameuse bévue, aux fameux lapsus sur le « Vautour », dont je parlerai bientôt -, il reste que dans tout cela (en-dessous de l’imaginaire et par-dessus le symbolique), il y touchait bien à un réel (« toucher » étant à prendre ici, au sens où il suffit que la clef de Faust touche - et non pas ouvre - le trépieds des Mères dans le second Faust), toucher à un réel donc, et précisément : une lettre. C’est ce que j’essaierai de mettre en lumière la prochaine fois.

Contentons ici de travailler à déployer des pistes. Et j’en vois ici essentiellement trois :

1° - Celle, historique et réelle, des lettres et du féminin dans l’histoire - non pas du mouvement analytique -, mais de la Chose freudienne.
2 ° - Celle, freudienne et théorique, de la sexualité féminine et du tabou de la virginité ;
3° - Celle de l’éthique hérétique de Jacques Lacan, laquelle part de la sublimation dans l’amour courtois (1959), pour « déboucher », au début des années soixante-dix, sur l’objet a et le RSI.

Je n’aurai évidemment pas le temps d’aborder tout cela ce soir ; mais commençons tout de même ; et par la piste historique.

DEUXIÈME PARTIE. - La Cause freudienne et le Féminin

Alors, toute cette histoire de Saint-Graal peut nous sembler abracadabrante, n’est-ce pas, rocambolesque : mais regardons un temps soit peu sous nos yeux, ce qu’il s’est effectivement passé avec le mouvement analytique.

Tous ces Jung, Ferenczi et autres - cette ceinture rapprochée, par Jones, ces véritables apôtres de la Cause freudienne -, rassemblés autour d’un Freud qui, à l’instar d’un nouveau Messie, va finalement souhaiter confier l’avenir de sa Cause à une femme qui n’a, depuis, cessée d’être attaquée de toute part, nommément Anna.

Les lettres dérobées et Sainte-Irma

Notre Saint-Graal a nous aussi, existe. Il nous a été révélé (en partie), par (non pas le Christ) mais tout de même un certain Kris. Vous connaissez en effet peu ou prou l’histoire de notre « Nativité » à nous, celle de la « Naissance de la psychanalyse ». Rappelez-vous !

Nous sommes à peu après en l’an de grâce 1900, et Freud - furieux du sale tour qui lui est arrivé dans son « hainamoration » du fameux Otto (rhinolaryngologiste) berlinois - Freud, soudain, détruit les lettres de Fliess. Seulement de son coté, Fliess, lui, les conserve, bien au chaud semble-t-il. De sorte que juste après sa mort, en 1928, sa veuve de femme - la fameuse « méchante femme » comme l’appelait Freud -, vend le paquet de quelques 284 lettres écrites de la main même de Freud (ainsi que les notes et manuscrits qui vont avec), à un libraire berlinois, Reinhold Stahl. Mais à cette condition près - expressément exprimée par Madame Fliess -, que le libraire s’engage à ne pas retourner les lettres à son envoyeur, c’est-à-dire, en l’occurrence, à Freud ; afin, bien évidemment, qu’il ne les détruise pas, ce sur quoi son pouvoir, d’imaginaire, serait aussitôt réduit à néant par le feu froid du réel.

La méchante femme était donc notre Ministre avant l’heure, tenant à ce que la lettre soit exhiber de la plus belle manière, tout en ne sachant qu’en faire. Tellement en évidence, que le fameux libraire (Stahl), fuyant le régime nazi et se réfugiant en France, ne tarde pas à y rencontrer notre Marie Bonaparte nationale, lui offrant sur le champ le paquet de lettre pour la modique somme de 100 £. Et Mme Marie Bonaparte s’en empare donc en 1937... Ou plutôt s’en-pare, puisqu’en analyse avec Freud à l’époque, elle les emporte à Vienne afin de lui lire sous son nez, sur son divan même, disons à sa barbe ! C’est là, paraît-il, qu’il lui aurait raconté l’histoire juive sur la manière de cuisiner le faisan :

« Vous commencez par enterrer l’oiseau et vous le laissez sous terre une semaine, ensuite vous le déterrez.
 Et après ?
 Eh bien après, vous le jetez ! » [6].

Bref, Freud ayant essayé de la convaincre de les détruire, elle n’en voulut rien savoir et déposa les documents à la banque Rothschild à Vienne ! Oui, mais nous sommes à l’hiver 1937-1938, et en mars 1938, Hitler envahit l’Autriche... et il était prévisible que la banque serait dévalisée par les Morfaloux... Mais, in extremis, Marie Bonaparte se précipite à Vienne, et en sa qualité de Princesse du Danemark, mais surtout de Grèce, elle obtient l’autorisation de retirer son précieux magot sous le regard inquisiteur de la Gestapo.

De retour à Paris, elle les met, croit-elle, en sûreté, mais en 1941, c’est uniquement grâce à la clémence du général von Choltitz - qui finit par désobéir aux ordres d’Hitler à la fin de la guerre -, que les lettres peuvent finalement sortir de Légation de Danemark, où elles avaient fini par atterrir, pour ensuite traverser la Manche minée, et arriver en bon état à Londres, enveloppées d’un « tissu imperméable léger, nous dit Jones, afin, qu’en cas de naufrage, elle eussent quelque chance d’être conservées. » (Jones, vol. I, p. 319).

C’est là que les lettres, après avoir été copiées, ont été soigneusement sélectionnées par Anna Freud et Ernst Kris, puis finalement publiées, et « Ernst Kris écrivit pour le recueil une belle préface et y adjoignit un grand nombre de notes propres à lui assurer la reconnaissance de tous ceux qui s’intéressent aux idées et à la vie de Freud » ; ça c’est la vacherie de Jones.

Les voyages supposés du Saint-Graal, décrits par Dan Brown, voyages des soi-disant coffres d’écrit apocryphes et des reliques de Marie Madeleine, ne vous rappellent-t-ils pas les péripéties, bien réelles pourtant, des lettres de Freud à Fliess, convoyées par « Marie-Madeleine » Bonaparte : n’est-ce pas là nos saintes reliques à nous, Templiers de la Cause freudienne ?

En effet, les documents du Graal étaient paraît-il transportés dans quatre énormes malles, lesquelles renfermeraient la légendaire Source Q - c’est-à-dire un manuscrit qui pourraient être écrits de la propre main de Jésus.

Sauf que dans notre cas, bien entendu, la Marie Madeleine en question, ce serait plutôt Sainte Anne elle-même - la mère du Christ - c’est-à-dire Anna. Ou du moins, si c’est la fille, une chose est certaine : c’est qu’elle est bien de Sang royal, de sang réel, c’est-à-dire de la descendance de Freud.

Mais l’important est que dans cette publication, là encore, il s’agit d’un véritable concile de Nicée, s’agissant de document écrits par la main même de Freud. Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce qu’il semble que les documents qui auraient pu servir à une véritable interprétation du rêve canonique, celui de l’injection faite à Irma, ont bien été occulté : on a, là encore, essayé de donné un « coup de pouce divin » à l’œuvre de Freud.

Car de cette publication, a été occulté, semble-t-il - dans ce concile de Nicée de la Psychanalyse -, quelque chose qui a attrait à ce rêve princeps de la Traumdeutung, et dont Freud nous dit pourtant, dans l’ouvrage même, et « malgré toute l’étude à laquelle Freud le soumet », comme le fait remarquer W. Granoff qui rapporte l’affaire, que « plus d’un fil y est laissé dans l’ombre, parce qu’il ne peut aller au-delà »... « Au-delà » de ce rêve qui « représente l’intérieur d’un corps féminin » [7].

Le rêve, vous le savez, date de juillet 1895 (à Bellevue). Ce rêve, Freud, lui donne une importance telle qu’en 1900 avec Fliess, et quelques années plus tard avec Jones, il jouera avec l’idée d’apposer une plaque sur cette maison de Bellevue, laquelle dirait : « Dans cette maison, le secret des rêves fut révélé au docteur S. Freud ».

Que se joue-t-il dans ce rêve - « au-delà » de « la symbolique » freudienne, dirai-je ? La fameuse, Irma - dont je vous fait tout de ma remarquer que l’anagramme phonétique est Marie - s’appelait en fait Emma [8]. C’était tout d’abord, il faut le préciser d’emblée, une amie intime de la famille et une jeune fille très proche de Freud. Mais bien sur, c’est également une patiente de Freud, depuis 1892 semble-t-il, et qui plus est, une patiente qui souffre dans son corps, et de quelque chose qui a avoir avec l’oto-rhino-laryngologie et la théorie de Fliess : de dysménorrhées et des sinus. C’était, bien entendu, viser dans le mille !

De cette souffrance (ou de cette passion) : Ni une ni deux - comme on dit - Freud la fait examiner puis opérer par le Dr Fliess. « Car, pour elle, précise Granoff ironique, Freud voulait le meilleur spécialiste ». Fliess arrive, accourt de Berlin à Vienne, et opère les sinus de la dite Irma (opération comportant la résection de la crête dite turbinale, nous dit Granoff).

Le problème, c’est qu’après la fameuse opération, l’état de la malade ne cesse d’empirer - elle passe du père au pire - ; et il faut se rendre à l’évidence : un autre spécialiste doit intervenir, viennois celui-là, on doit faire au plus vite. On la ré-opère donc et oh ! surprise : il dégage du champ opératoire du précédent opérateur, « environ cinquante centimètres de pansement que le bon Dr Fliess y avait oubliés, c’est-à-dire de la gaze », nous précise Granoff [9].

Hémorragie, état de choc, on arrête finalement le flot, mais Freud, qui assiste à cette nouvelle opération se sent mal et quitte la salle.

Vous comprenez maintenant, je suppose, tout le remue-ménage du rêve, tout le chassé-croisé des médecins examinant et contre-examinant la pauvre Irma : les docteurs M., le fameux Otto et autres Léopold. D’autant qu’il y eut ensuite, semble-t-il, d’autres hémorragies et d’autres interventions.

Vous comprenez également ce qui est intéressé dans le rêve :
 1° non seulement, ce flot de sang qui jaillit de l’intérieur de ce corps féminin, à la suite de la chute de cette fine membrane (de la gaze oubliée par Otto) ;
 2° mais corrélativement, comme allant de pair avec ce mystère du féminin, quelque chose qu’il serait peut-être intéressant de situer du coté d’un réel de transfert, ou d’un transfert de réel, puisqu’immédiatement après, s’engage entre Freud et Fliess un échange de lettres, qui comme les évangiles apocryphes, ont été banni du faire-part de « La naissance de la psychanalyse ». Que se passe-t-il dans ces lettres ? Échanges « enfiévrées », nous dit Granoff, surtout « de la part de Freud, qui littéralement se rua à la défense anticipée de son ami et se multiplia en témoignages de considération inentamée quant à la valeur scientifique de son collègue » (Granoff, p. 168 et suiv.). Et c’est cela qui se passe entre février 1895 (date de la ré-opération) et la fameuse nuit du 23-24 juillet 1895, où se déclenche ce rêve princeps du livre.

Ce « Sang réel », donc, qui jaillit de la gorge d’Irma-Marie, ce rêve princeps, comment ne pas voir qu’il véhicule ce féminin, sacralisé, dont Freud est porteur au moment même où il se lance dans cette « voie royale », selon sa propre expression, qui le mène de l’interprétation des rêves et l’inconscient.

Voilà donc l’« Hérésie » (RSI) : Lacan ne s’y trompera pas ! L’hérétique, c’est au sens premier, quelqu’un qui a la connaissance des secrets de la religion. Ainsi, celui qui préférait les évangiles apocryphes - du grec apokruphos, « rendu secret » -, ou non conformes à la publication de l’Empereur Constantin, était considéré comme hérétique.

Le mot hérésie vient du grec « airesis », qui signifie « choix ». En ce sens, les premiers hérétiques, ce sont ceux qui ont fait le choix de Marie-Madeleine, le choix du féminin.

En quoi ce choix nous intéresse-t-il dans le cadre de notre intérêt pour le Léonard de Vinci, et plus particulièrement le Léonard de Vinci de Freud ? Je vous le dirai, mais d’abord revenons-en au Léonard de Vinci de la Cène.

La Cène et le Féminin sacré

Nous connaissons tous les icônes modernes du masculin et du féminin que sont, d’une part, ce petit cercle surmonté d’une flèche partant vers la droite lorsqu’on le regarde (mais vers sa gauche à lui, le cercle qui nous regarde), et d’autre part, cet autre petit cercle - cette petite tête - qui surmonte une sorte de croix, ou de signe plus pour les mathématiciens.

En fait, ces symboles proviennent de symboles astronomiques anciens qui sont respectivement sensés représentés celui du dieu-planète Mars (masculin), et de la déesse-planète Vénus (féminin), lesquels symboles avaient autrefois une forme beaucoup plus simple, nous dit le « Da Vinci code », puisqu’ils étaient ceci :
 Un V inversé, ou une sorte de ? (delta majuscule) ou triangle sans base, pour l’homme. Ce symbole, on l’appelait la « Lame » ; il était sensé représenter l’agression et la virilité, un symbole phallique. (Mais vous pouvez également faire raisonner le signifiant « Lame » à votre guise).
 Et, pour l’icône du féminin, nous avions, à l’opposé, un véritable V, ce que l’on appelait, paraît-il, « Calice », ce qu’il ressemble à une coupe, ou à un vase, c’est-à-dire, vous l’aurez compris, qu’il est sensé symboliser l’utérus, emblème de la fécondité.

On comprend donc bien que, lorsque l’on dit que le Graal est un calice, il s’agit en fait bien là d’une allégorie pour désigner le fameux Féminin sacré (Ewig-Weibliche), si cher à Gœthe et Granoff.

Or, sachant cela, si l’on observe bien la Cène de Léonard de Vinci, on observe que Jésus et sa compagne, à partir de leur tailles qui semblent jointes, s’écartent l’un de l’autre, afin de former d’une manière fort peu discutable, entre leurs deux bustes, un V.

En d’autres termes, la Cène recèle - non pas comme une anamorphose comme dans le tableau des « Ambassadeurs » de Hans Holbein (1533 - National Gallery, Londres) - mais bien, tout de même, une image cachée, secrète pour celui qui la découvre : une lettre peinte par les deux corps joints et disjoints, le V symbole du Calice, du féminin sacré.

Ne vous étonnez pas : Léonard de Vinci connaissait le principe de l’image cachée et de l’anamorphose, puisque l’anamorphose est un procédé antérieur à Léonard de Vinci - les anamorphoses chinoises datent de l’époque Ming (1368 à 1644) - et surtout, puisqu’on connaît de lui cette anamorphose d’un visage d’enfant et d’un œil, qui date de 1485 (Codex Atlanticus). Sur ce dessin, il faut regarder depuis la droite du dessin, en regard frisant.

Tout porte à croire, donc, que dans ce tableau de la Cène, une lettre, un V, témoigne (en chute) du passage, si longuement décrit par Freud dans son dernier ouvrage - L’Homme Moise et le monothéisme -, du passage du Féminin sacré, de la Déesse, à une religion monothéiste, d’essence masculine, pour laquelle la Déesse semble représenter une terrible menace.

Mais dans ce passage de l’imaginaire au symbolique - comme l’explique très clairement Freud dans son ouvrage de 1939 -, lequel est, insiste-t-il, certes créateur et apaisant pour la civilisation dans son ensemble, il n’en reste pas moins qu’une lettre, un réel, est véritablement escamotée. C’est cette lettre, semble-t-il, qui fait retour ici, dans ce texte d’un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, lequel, faut-il le rappeler, date de 1910, c’est-à-dire de cette année qui marque un tournant dans l’histoire du mouvement psychanalytique : Freud y revient d’Amérique, c’est le premier congrès de l’IPA, au cours duquel il va installer Jung dans le fauteuil de Président - et ce, malgré les premiers signes avant-coureurs de la brouille qui se font sentir...

... Et justement - je vous invite à relire la correspondance -, ces premières échauffourées ont lieu, précisément, à propos de la question de l’inceste, certes, mais en ce qu’elle est intimement liée, à l’origine du débat qui se noue là entre Freud et Jung, à celle du féminin sacré et de ses traces dans l’Antiquité.

Et, Freud finissant par comprendre, en 1912, où Jung voulait en venir, lui renvoie dans une lettre du 14 mai 1912 - comprenant enfin là où il s’égarait et espérant qu’il allait revenir sur le droit chemin - qu’il ne faut pas confondre le droit maternel (mutterrecht) avec le gouvernement des femmes :

« Cher ami,
Comme vous vous y attendez certainement, votre conception de l’inceste n’est toujours pas tout à fait claire pour moi. Parfois il me semble qu’elle ne s’éloigne pas de la conception que nous avons eue jusqu’ici, mais cela peut être éclairci par une discussion plus approfondie. À vos arguments j’aurais trois choses à observer - des réticences, pas précisément des réfutations. (...) 2° - Le droit maternel ne doit pas être confondu avec le gouvernement des femmes. Peu de choses parlent en faveur de ce dernier. Le droit maternel s’accorde particulièrement bien avec l’avilissement polygamique de la femme.
 » (pp. 633-634).

Et dans ce « droit maternel » (Mutterrecht), Freud désigne clairement un état de la société dans lequel les femmes règnent moins par le pouvoir politique que par les liens de parenté et la religion. L’expression de « Mutterrecht » est due au philosophe suisse Johann Jakob Bachofen (1815-1887), dont l’ouvrage principal, « Das Mutterrechi » (Stuttgart 1861) est également cité par Freud dans la dernière partie de Totem et Tabou.

Car dans ce passage du Féminin sacré au monothéisme, dans ce passage de l’imaginaire au symbolique, le réel de la lettre n’y est qu’escamotée, puisqu’en vérité, les traditions païennes n’ont pas véritablement disparu... Et Freud y insiste et en témoigne, par un petit texte très court et très énigmatique - et par lequel je terminerai ce soir : « Grande est la Diane des Éphésiens ».

« Gross ist die Diana der Epheser »

« Grande est la Diane des Éphésiens » [10], texte publié en 1911 dans le Zbl. Psychoanal. (vol. 2, n°3), et dans lequel Freud s’appuie sur un livre, celui de Félix Sartiaux, « Villes mortes d’Asie Mineure », publié à Paris, en 1911, mais également sur un très court poème de l’incontournable Gœthe, auquel justement et curieusement (car il n’y fait aucune allusion), Freud emprunte le titre : « Grande est la Diane des Éphésiens » [11].

Freud y évoque déjà l’Apôtre Paul - qui restera tout au long de son œuvre son véritable cheval de bataille, c’est le cas de le dire (« arrière cocotte ! ») -, lequel Paul, serait venu à Éphèse vers l’an 54 de notre ère, - qui plus est avec Marie (son Irma à lui) -, et y aurait tenté de substituer sa nouvelle déesse maternelle, à l’ancienne divinité Artémis (Diane).

Mais les artisans et orfèvres qui fabriquaient pour les pèlerins des reproductions du temple et de la divinité « durent alors trembler, nous dit Freud, pour leur déesse comme pour leur négoce. Ils se soulevèrent et, aux cris sans cesse répétés de “Grande est la Diane des Éphésiens”, ils se répandirent à travers la rue principale, Arkadianè, jusqu’au théâtre où leur meneur Démétrios tint un discours incendiaire contre les Juifs et contre Paul. C’est avec peine que les autorités parvinrent à étouffer l’émeute en assurant que la majesté de la grande déesse était intangible et hors de toute attaque » [12], - je vous renvoie-là aux Actes des Apôtres de la Bible de Jérusalem, chapitre XIX :

« Tous se mirent à scander d’une seule voix (...) : Grande est l’Artémis d’Éphèse ! » (verset 34).

Voilà, je vous laisse là-dessus pour aujourd’hui, et la prochaine fois que j’interviendrai, nous continuerons - dans le droit fil de ce que je viens d’avancer ce soir - en abordant l’hérésie de Lacan, et précisément le traitement qu’il fait subir à la sublimation dans ses développements sur « Das Ding » et l’Amour courtois dans « L’Éthique de la psychanalyse ». Le titre anticipé en est : « Cathares et Catharsis », et nous essaierons d’entendre, si oui ou non, Lacan - contrairement à Freud peut-être - désacralise le féminin.

Notes

[1Cf. Dan Brown, Da Vinci Code, Chapitre 58 ; ces textes sont très aisément consultables sur internet

[2Dan Brown, Da Vinci Code, Chapitre 58 ; texte également très facilement consultable sur internet.

[3Dan Brown, Da Vinci Code, Chapitre 58.

[4Dan Brown, Da Vinci Code, Chapitre 58.

[5Cf. Wladimir Granoff, La pensée et le féminin, Champs-Flammarion, Paris, 2004.

[6Cf. Jones, Vie et oeuvre de Freud, vol. I, PUF, p. 319

[7Cf. Wladimir Granoff, La pensée et le féminin, Champs-Flammarion, Paris, 2004, p. 168-170

[8Emma Eckstein (1865-1924).

[9W. Granoff, Op. Cit., p. 169.

[10Freud, Oeuvres complètes, vol. XI, PUF, Paris, 1998, pp. 49-53.

[11Le texte de Goethe est publié en post-scriptum de la première publication de ce texte sur Psychanalyse-paris.com : Da Vinci Code, quête du Graal et Cause freudienne

[12Freud, Op. cit., p. 52.

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